La tête enfoncée dans les épaules, oreilles décollées, démarche de moine traînant les semelles, une créature longe les murs de Rome, la nuit, protégée des importuns par quelques voitures de police et des hommes en uniforme, mitraillette au poing. De jour, on retrouve la même ombre dans les salles vides de son palais, étrange passe-muraille, chat noir de gouttière ayant pris le contrôle des lieux depouvoir, grisâtre marionnette manipulant ses corrupteurs. Cet homme l'a dit : "Je me sens tellement bien courbé." Cet homme amasse les surnoms, Belzébuth, le Renard, le Moloch, la Salamandre, le Pape noir, l'Homme des Ténèbres, le Sphinx, l'Inoxydable, le Petit Bossu et, si féroce mais si juste, Nosferatu. Cet homme existe, et le film de Paolo Sorrentino est l'un des plus assassins qui ait jamais été tourné sur un personnage politique de son vivant : Giulio Andreotti, sept fois président du conseil, vingt-sept fois ministre, sénateur à vie, symbole vivant de la politique italienne des soixante dernières années, emblème de la Démocratie chrétienne. Les mauvaises langues disent que, lorsqu'il se rend à l'église, ce n'est pas pour parler avec Dieu mais avec les prêtres, car les prêtres votent. Un cachet se dissout dans un verre d'eau : Andreotti a été toute sa vie en proie à des migraines atroces. Une pluie de cadavres s'abat à l'évocation de sa carrière : empoisonnement d'un banquier, meurtres d'un journaliste et d'un juge, suicides douteux du financier du Vatican et d'un député. Andreotti toujours, au carrefour de cette danse macabre. Suspect de relations pas très catholiques avec la Mafia, compromis dans des attentats et affaires de corruption, plusieurs fois condamné et, peu après, miraculeusement acquitté. Haï pour avoir refusé sans état d'âme toute négociation avec les Brigades rouges, susceptible d'éviter l'exécution de son camarade de parti, Aldo Moro, et pour avoir fait disparaître les carnets de l'otage.