S'il est un personnage romanesque, c'est bien Rudolf Noureev : un danseur d'exception, une étoile filante qui influença d'une façon phénoménale la danse masculine, perturba radicalement les codes du ballet, fascina des générations d'amateurs et continue aujourd'hui encore à inspirer nombre d'artistes. En plus il était beau : « Du fauve il avait le regard brûlant et le mouvement aussi » dira de lui Christine Okrent pour annoncer sa disparition en pleine gloire en 1993… âgé d'à peine 54 ans.
Le film ne dit pas toute sa vie, mais ses débuts à Leningrad (Saint-Pétersbourg), sa rencontre avec Alexandre Pushkin, professeur de danse respectueux et respecté qui joua un rôle déterminant dans l'évolution du jeune prodige jusqu'au moment où sa vie bascule radicalement…
Son père, commissaire politique de l'Armée rouge, avait disparu alors qu'il avait trois ans, laissant sa famille dans une précarité qui lui laissa durablement un insatiable appétit de richesse et de reconnaissance. Il avait une énergie folle, en réaction, peut-être, à un complexe d'infériorité chronique. Pauvre, venu tardivement à la danse, il avait le sentiment qu'il devait « faire tenir six années en trois » pour rattraper son retard. Ralph Fiennes a toujours été fasciné par le personnage, fasciné aussi par la Russie dont il parle la langue et s'il prend grand soin à reproduire scrupuleusement le contexte, il se donne à lui-même le rôle d'Alexandre Pushkin, prof dont la bienveillante tolérance a compté dans l'affirmation du talent de Noureev.
1961, nous sommes en pleine guerre froide. C'est à contre cœur que la Russie soviétique autorise Noureev à sortir de ses frontières pour se produire à l'Opéra de Paris avec le ballet du Mariinsky, encadré de près par le KGB complètement dépassé. « Il n'entend rien à la politique » avait dit son directeur de troupe pour rassurer les autorités, échaudées par les insoumissions et les frasques de ce danseur fantasque.
Mais à peine la représentation terminée, Noureev échappe à cette surveillance trop visible, pour le simple plaisir de flâner en toute liberté dans Paris ou faire la fête avec les danseurs français… Probable qu'il n'avait rien calculé à l'avance, dit Fiennes : « les Soviétiques, en lui mettant la pression, l'ont poussé à faire le choix de rester en France ». En arrivant à Paris, lui qui n'a connu que l'univers gris de la pauvreté, est instantanément fasciné par la ville, sa liberté festive, cette foultitude d'amis avec qui il peut s'exprimer en toute sincérité, sans contrainte…
Au moment du voyage de retour vers la mère patrie, alors même qu'il s'apprête à embarquer dans l'avion, il fait volte face, se précipite vers deux gendarmes à qui il demande protection et supplie la France de le garder, soutenu par ses nouveaux amis…
On imagine qu'il n'a pas été commode de parvenir à trouver le comédien capable d'exprimer l'incandescence du tempérament de Noureev. C'est finalement dans la troupe nationale du Tatarstan que Fiennes, après de longs mois de recherche, a fini par dénicher Oleg Ivenko, danseur lui même, n'ayant jamais joué la comédie, mais étonnant de ressemblance physique avec son modèle… « Restait à être spontané et à s'investir émotionnellement »… dit encore Fiennes. C'est ce que réussit Oleg Invenko, avec une classe et une fougue emballantes… et un talent de danseur époustouflant – les scènes de danse ne sont pas très nombreuses dans le film mais elles sont exaltantes.