Mémoires d'outre-tombe
Aucun bruit dans l’immense bâtisse, sauf le grondement de l’orage à l’extérieur et la plume qui crisse sur le papier du registre des clients, au bureau de la réception. Une sonate de Schubert accompagne le tic-tac de l’horloge. Tout à coup deux voyageurs poussés par la bourrasque s’engouffrent dans le hall de l’hôtel. Nous sommes à Cauterets, en 1829, à la haute époque du pyrénéisme naissant, dans un de ces somptueux palaces de bois et de pierre, où les bourgeois de la capitale et d’ailleurs venaient prendre les eaux. Dans l’hôtel, déserté par les curistes à ce moment de l’année, va se jouer un jeu délicat et sensible à trois personnages : l’écrivain René de Chateaubriand, vieillissant mais toujours amoureux de l’amour (fabuleux Bernard Le Coq) la jeune Léontine de Villeneuve, de quarante ans sa cadette, enflammée de passion pour le grand homme, et un maître d’hôtel, poète dans l’âme, qui, pour la circonstance, se fera malgré lui veilleur de nuit et témoin bienveillant.
Inspiré d’un chapitre des Mémoires d’outre tombe, le scénario reprend l’histoire vraie du dernier amour de Chateaubriand avec une jeune femme de l’aristocratie toulousaine, qui apparaît dans ses écrits sous le nom d’« Occitanienne ». Une jeune femme avec laquelle il avait entretenu une relation épistolière, mi-amoureuse, mi-filiale, avant de se décider à la rencontrer par cette sombre nuit d’orage dans cet hôtel du bout du monde... Une longue nuit pudique et incandescente qui les conduira, mélancoliques mais apaisés, jusqu’à l’aube.
L’Occitanienne, sans bruit ni fureur, si ce n’est celle des sentiments subtilement contenus, fait penser à ces jouets en bois, porteurs d’un si séduisant imaginaire qu’ils pouvaient emplir avec bonheur les jeux de toute une enfance. Mais que l’on ne se méprenne pourtant pas, ce film en bois joliment tourné est si finement construit, les acteurs sont si remarquables et si troublants, les décors sont si parfaits que l’on pourrait croire que les sous n’ont pas manqué à la production et que, petite souris embarquée dans la machine à remonter le temps, nous sommes vraiment là en 1829, embusqués derrière les boiseries à vivre un miraculeux moment d’humanité littéraire.
« Outre-tombe, Chateaubriand va-t-il se retourner ? Quand Jean Périssé est venu me voir, raconte Bernard Lecoq, son scénario sous le bras, je me suis demandé pourquoi un type sensé pouvait m’imaginer jouant le Grand Homme. Et j’ai compris : Jean Périssé est fou. Fou de cinéma et de désir de faire “son” film. Et il l’a fait. J’aime cet homme, sa candeur malicieuse, son incroyable pugnacité, sa tempérance aussi, sa modestie et son humour. Quand on connaît les difficultés qu’il y a à faire un film de cinéma, sans “stars”, sans argent, avec un sujet aussi peu “people”, il faut un miracle, il faut des miracles... Les miracles sont au générique du film. Lisez bien, ne sautez pas une ligne. Le film existe, il est beau et subtil, élégant et simple, profond et touchant. Comme Jean.
« Merci de ce cadeau, de ce rôle, de cette aventure, de cette confiance, de ces rencontres, de cette amitié... Finalement, je ne pense pas que le Grand Homme se soit retourné dans son tombeau. Je crois même qu’il nous sourit. »