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Allégorie parodique
Un petit bijou. Oscillant entre un western spaghetti à la mode Kurde et une critique sociale libertaire, féministe, jamais trop lourde ni maladroite. Hilarant, vif, efficace, grinçant… D'abord la beauté des vastes paysages qui se passe de commentaires et qui suffirait presque pour que, même sans l'histoire, on reste plongé des heures durant les yeux dans les yeux avec les montagnes du coin. Ensuite, les moments diantrement poétiques qui ponctuent le film, les sonorités du hang (sorte de steel drum inventé en Suisse en l'an 2000) sur lequel Govend tape pour se ressourcer, harmonieusement, subtilement, comme si elle introduisait peu à peu des notes de modernité dans cette région aux coutumes ancestrales.
Govend, c'est cette magnifique femme libre et indépendante venue faire l'école aux jeunes têtes brunes de ce no man's land cerné par trop de frontières pour rester longtemps paisible. Au carrefour de l'Irak, de l'Iran et de la Turquie… Lieu de passage de tous les trafics, de tous les combattants et maquisardes (dans ce domaine-là non plus les femmes ne sont pas en reste). Dans ce village perdu où l'on s'empresse de marier et d'engrosser au plus vite tout ce qui est en âge de l'être, Govend intrigue, dérange. Son indépendance bouscule l'ordre moral établi, « naturel », des choses. On préfèrerait un enseignant plus classique : un mec, quoi ! Si le célibat est accepté pour les hommes, il est suspect, contre-nature et inadmissible pour une femme. On commence par vouloir la caser, on continue par jaser, puis on finit par l'ostraciser. Et puisque droite et fière elle reste, libre envers et contre tous, les pressions commencent et les menaces fusent. Il lui faut une sacrée trempe, du courage, une énorme passion d'enseigner pour tenir bon. Si les hommes menaçants, peu habitués à ce qu'une femelle leur résiste, lui donnent envie de fuir, les mômes, malins et malicieux, lui donnent envie de s'accrocher : « Combien font un et un ? — Un et un ça fait 10, maîtresse. — Un plus un ? Tu es sûr que ça fait dix ? — Oui, maîtresse ! En tout cas dans ma famille un père et une mère, ça fait dix gosses ! »
Mais l'histoire ne commence pas avec Govend. L'histoire commence avec Baran, beau ténébreux, ancien combattant pour l'indépendance Kurde, qui claque la porte de l'armée devant l'absurdité de ce qu'elle est en train de devenir en temps de presque paix (je résiste avec peine à vous raconter la première scène, d'un burlesque cinglant). Revenu dans la vie civile, d'autres dangers le guettent qui lui semblent rapidement pires que n'importe quel autre : les prétendantes que veut lui imposer sa mère. Entre un mariage forcé et un poste périlleux dans la police, devinez ce que choisit notre homme ? Cela vous semblera sans doute étrange qu'un garçon intelligent en vienne à la même conclusion que le gorille de Brassens et pourtant ! Quand vous verrez la sélection maternelle, vous comprendrez aisément ! Voilà notre homme reparti vers de nouvelles aventures, nommé shérif d'un bled paumé dans les montagnes, un bled où sévit un terrible caïd local, Aziz Aga. Un bled où essaie de résister une belle institutrice… Et là, je ne vous fais pas un dessin : même un gorille aurait fait le bon choix !
N'ayez pas peur que ce soit mièvre, le film vous embarque au-delà des simples standards du genre, s'en joue, en déjoue les pièges. Il vous embarque bien au-delà pour vous raconter les hésitations d'un pays mutilé, qui doit retrouver ses marques, se reconstruire. Un petit régal d'énergie communicative et d’intelligence rieuse !