2.5 | 3 |
Ched d'oeuvre absolu à voir plusieurs fois
La nébuleuse Kurosawa
Real est le film d'un immense poète, et un grand film sur l'imaginaire. Un imaginaire qui se faufile dans une fête foraine abandonnée, ou dans une maisonnette où l'on assiste, bouche-bée, à une sorte de fascinante procession de fantômes derrière des voiles. La science du cadre de Kiyoshi Kurosawa, sa lumière envoûtante, renversent et bouleversent. Il y a des moments de Real où l'on a l'impression que le réalisateur n'a même pas besoin de raconter quelque chose pour captiver : son talent seul de metteur en scène suffit pour évoquer, provoquer, exciter, émouvoir. Les personnages de Kiyoshi Kurosawa sont souvent hantés par une faute originelle, le poids de la culpabilité. Ce qui pesait sur les fillettes de Shokuzai, c'est ce souvenir entêtant de la faute, cette tâche qui envahit l'esprit. C'est souvent, aussi, ce qui empêche ses personnages d'être totalement humains, ils sont littéralement fantômes ou bien c'est comme si : le passé les avale et le présent est à peine là. Real, incursion du maître nippon dans la pure science-fiction, met, si l'on peut dire, les mains dans le cambouis. L'horreur cérébrale de Kurosawa laisse place à une SF où l'on pénètre directement dans le cerveau pour voir ce qui s'y cache. Comment se reconnecter au réel. Et être vivant.
Un jeune homme tente l'expérience de pénétrer dans le subconscient de la jeune fille avec qui il a tout vécu, et qui a tenté de se suicider un an plus tôt. Celle-ci est dans le coma, entre-deux mondes. Le réel est toujours une notion fragile chez Kurosawa, le surnaturel s'imprègne dans la vie comme une trace de moisissure dans le mur. Le doute s'installe très vite dans l'ironiquement nommé Real (on préfèrera d'ailleurs le beau titre A perfect day for plesiosaur). Quand Koichi prend le volant de sa voiture, le décor qui défile derrière est celui d'une ville irréelle, dessinée. Des fantômes flous ne tardent pas à apparaître, réel et surnaturel se mélangent, et les créations horribles de l'héroïne Atsumi, mangaka dans la lignée des Junji Ito, envahissent l'écran.
Derrière ce jeu sur la limite et la frontière, où les portes poussent toutes seules dans les appartements, où l'eau de l'inconscient envahit la chambre, il y a une histoire poignante d'amitié ou d'amour platonique. Une histoire de deuil, et de refus du deuil, jusque dans le surréel. Les visages disparaissent, mais on se refuse à cette fatalité. Lors d'une séquence d'une puissance extraordinaire dont l'atmosphère apocalyptique rappelle le final de Melancholia, la ville tremble, disparaît comme les couleurs d'une peinture trempée dans l'eau, scène sublime qui n'est pas la seule de ce long métrage. On ne parlera pas de la surprise réservée par le film, jaillissement poétique comme on en voit peu.
Nicolas Bardot, filmdeculte.com