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Paco, Nora… Ils s'aiment. Ils font deux gosses. Ils ont envie de les élever différemment. Leur ciment, c'est de rêver d'une société meilleure, de vouloir la construire. Ensemble ils choisissent un autre style de vie qui réinvente les rapports aux autres, à la nature. Une vie libre, harmonieuse et cohérente. Le plus loin possible de la société de consommation qui broie tout… Paco et Nora font un choix de vie radical, hors système. Les enfants auront leur enseignement et non celui d'une institution. Ils auront la nature pour limite, un camping-car pour maison, leur libre arbitre pour raison. Et ça marche. Tsali et Okyesa sont deux bambins débrouillards et malins du haut de leur huit ou neuf ans d'existence. Plus musclés que s'ils avaient dû courir autour d'un stade en s'emmerdant, plus respectueux des autres et de la nature que s'ils avaient suivi des cours de morale ou d'écologie… Le teint hâlé par la vie au grand air. Quant à Thomas, le premier fils de Nora, leur demi-frère, il est comme un troisième mousquetaire : unis sans avoir eu besoin d'un psy… Loin des playstations, des vêtements de marque, de tout ce qui vous pousse à paraître plutôt qu'à être. Ils sont beaux ainsi et ce serait presque un monde parfait… Presque.
Le temps a passé… Est-ce la passion amoureuse qui s'est étiolée, l'absence d'écoute malgré les belles convictions affichées ? Nora s'enfuit, loin de la caravane qui trône dans la grisaille boueuse d'une campagne froide, avec ses trois enfants sous le bras, sans rien leur expliquer, ni les avoir consultés. Il y a tout dans cette scène, dans le regard de cette mère, dans celles des enfants. C'est d'une violence inouïe pour eux, pour elle. Mais peut-être toute cette violence est-elle la résultante de celle induite par le père qui, tout convaincu du bien fondé d'un choix de vie commun, est devenu hermétique à toute contestation.
Que les exigences de la vie décroissante soient difficiles à tenir, ils en avaient conscience, l'ont accepté. Mais Nora n'en peut plus : les angoisses de ne pas proposer à ses enfants ce qu'ont les autres, l'incertitude de leur devenir… Est-ce vraiment un choix qu'on leur propose ? Et si plus tard leur désir était de se couler dans un moule classique, comment pourraient-ils y parvenir ? Trop libres, trop contestataires, incapables de « s'intégrer » ? Cette vie de marginaux, l'ont-ils choisie ? Trop petits pour laisser la place à leur libre arbitre…
Et ces doutes de Nora vont tellement dans le sens du « Système » qu'ils vont être immédiatement transformés en certitudes normalisantes par les institutions, sans que les enfants soient consultés, une fois de plus… La justice, les assistants sociaux, les médias… tous donneront spontanément raison à la mère. Voilà donc Paco privé de ses mômes, de son idéal de vie, d'années d'obstination pour l'atteindre. Il est celui qu'on juge sans l'entendre, indifférent à ses valeurs. Une indifférence qui est une autre forme de violence terrible. Il ne voit d'autre issue que de proposer à ses deux fils de partir en cavale avec lui, de s'embarquer dans cette vie hors des sentiers balisés qui leur avait toujours été promise…
Le film est bien sûr tiré d'un fait divers dont vous avez sans doute entendu parler… Pendant onze ans, un père et ses deux fils ont mené une vie clandestine, en dehors de la société organisée, dans la campagne et les forêts ariégeoises. Ce qui est passionnant dans le traitement qu'en fait Cédric Khan, c'est qu'il est parti du point de vue des enfants, jadis oublié. Le cinéaste relate cette équipée dans les marges avec une empathie lucide, une générosité sans angélisme. C'est un vrai film d'aventure en même temps qu'une belle et ample réflexion sur les choix de vie, sur l'éducation, sur les relations parents-enfants. Et les acteurs sont magnifiques.