3.5 | 4 | 3 |
Oliver Hirschbiegel est l’homme qui a osé il y a quelques années réaliser le dantesque La Chute, sur les derniers jours d’Adolf Hitler. Pendant quelques années, Hirschbiegel a mené hors d’Allemagne des projets très différents, d’un biopic sur Lady Diana aux premiers épisodes de la série historique Les Borgia. Mais le IIIe Reich a toujours fasciné le cinéaste parce que, comme bien des Allemands, il s’est toujours demandé pourquoi, face au régime nazi, la résistance intérieure fut proche de l’inexistant. Bien sûr l’efficacité de la machine policière et concentrationnaire explique beaucoup mais pas tout. Il est donc évident que l’histoire singulière de Georg Elser ne pouvait qu’intéresser le réalisateur.
À la fin des années 1930, à la veille de la guerre la plus terrible et gigantesque de l’histoire, et alors que le régime nazi a déjà bien assis son pouvoir, Georg Elser est un modeste menuisier de la Souabe, la partie occidentale de la Bavière. Une région aussi rurale qu’industrielle, marquée à la fois par un fort catholicisme et une conscience ouvrière et syndicale très puissante. Et ce Georg Elser ordinaire, entré presque par hasard et surtout par amitié dans le Röter Kampferbund (l’unité combattante du parti communiste), ce garçon bien plus intéressé par le jazz et les filles – qui le lui rendent bien – que par la politique et le militantisme, a failli changer le cours de l’histoire, un certain 8 Novembre 1939. Seul, sans aucun appui, sans aucune « formation » aux techniques de l’action secrète ou de commando, et au bout de plusieurs mois de préparation minutieuse, l’homme discret va fabriquer une bombe, à partir de mécanismes d’horlogerie et d’explosifs volés dans la carrière la plus proche, et la placer, après des nuits de planque assidue, dans un des piliers de la Bürgerbraükeller, la brasserie munichoise où Hitler a prévu de prononcer un discours pour commémorer son coup d’état raté de 1923. On connait malheureusement la suite : Hitler, préoccupé par les préparatifs de la guerre, écourte son discours et part plus tôt que prévu vers Berlin avec sa garde rapprochée, si bien que l’attentat ne va tuer que quelques seconds couteaux. C’est le premier d’une longue série d’attentats ratés contre Hitler (pas moins de 7, on se dit qu’il n’y a vraiment pas de justice divine) et surtout le seul accompli par un civil, tous les autres le seront par des militaires du régime.
Le cœur du film tourne autour du fascinant triangle que forme Elser, rapidement arrêté alors qu’il essayait de passer en Suisse, et ses interrogateurs et bourreaux, Heinrich Müller, chef de la Gestapo, et Arthur Nebe, chef de la police judiciaire. Les deux nazis ne peuvent pas croire que le jeune homme a agi seul et ils veulent lui faire avouer le nom de ses complices ou commanditaires. Agents étrangers ? Cellule communiste ? Mais malgré leurs efforts zélés, qui vont évidemment jusqu’au recours à la torture, il faut se rendre à l’évidence, même si le Fürher la refuse obstinément : Elser est un simple citoyen porté par la conviction profonde de devoir « agir ainsi pour éviter que plus de sang ne soit versé »…
Le film est passionnant parce que, au-delà du huis-clos carcéral qui va durer de longues années au cours desquelles Elser affrontera les mêmes protagonistes, le film revient en flashback sur son parcours, sur tout ce qui l’a fait évoluer depuis le début des années trente. Années encore heureuses où le jeune Elser et ses amis profitent de la nature splendide (on est tout près du superbe lac de Constance), aiment librement tout en ne dédaignant pas la tradition catholique, font la fête au rythme de la musique traditionnelle bavaroise tout en découvrant le jazz. Un monde où jeunes communistes et nationaux socialistes s’asticotent sans que les deuxièmes ne tentent d’exterminer les premiers. Puis peu à peu le nazisme s’installe et la progression de l’épidémie est magnifiquement décrite : le maire un peu crétin, dont on se moquait volontiers, se rallie aux idées simples du national socialisme, les chrétiens pratiquants sont ridiculisés par les adeptes du paganisme, les croix gammées recouvrent tout et l’asservissement de chacun est inéluctable alors que tout communiste ou supposé tel est arrêté et torturé. C’est tout cela que refuse Georg Elser, c’est pour combattre tout cela qu’il va accomplir son acte hors du commun. Un héros ordinaire auquel l’acteur Christian Friedel (découvert en instituteur dans Le Ruban blanc de Michael Haneke) donne une épaisseur, une énergie, un charme extraordinaires.
Un film indispensable notamment pour les adolescents qui ainsi pourront appréhender le sens de la résistance dans un régime inique. Un film qui rend enfin hommage (la première plaque commémorative en Allemagne ne date que de 1990) à ce héros oublié.